Le classement c’est sexy

Quand on travaille au collège, en début d’année, on doit faire la désormais célèbre formation à la recherche documentaire aux 6ème. C’est pompeux hein… Pas étonnant que quand on les retrouve au CDI en 2nde au lycée, lors de la visite du lycée on demande candidement « qui a déjà appris à faire une recherche au CDI au collège ? » à ces élèves vifs et pleins d’entrain (ahahah… ah…) ils répondent SYSTEMATIQUEMENT « heu… non… ».
Bon.
Du coup, on rivalise d’imagination pour rendre ces cours inspirants et étonnants. Vidéos, jeux, parcours… Tout y passe ! Mais quoi qu’on fasse, faut bien admettre que la Dewey c’est pas très sexy. Hé non. Moi aussi je trouve ça dommage. Je sais pas, peut être un clip à la cascada rempli de bibliothécaires se trémoussant dans des cotes de toutes les couleurs sur une musique techno aiderait notre cause ? Quoi que là, mon pouvoir de visualisation me fait douter…

Pour en revenir aux 6ème, cette année j’ai décidé d’être sobre et la plus simple possible. J’ai commencé par expliqué la construction d’une cote de livres fictionnels. Fastoche : la première lettre du genre de livre suivi des trois premières lettres du nom de l’auteur. Genre Twilight sera classé généralement en « R MEY » pour Roman de Stéphanie MEYer. Après une demi heure à les faire venir au tableau pour construire les cotes de tous les exemples qui me passent par la tête en bande dessinée, poésie et autre. Après une demi heure à expliquer quatre fois que les revues n’ont pas de cotes parce que ce ne sont pas des livres. Après une demi heure à redire sept fois que les initiales d’un auteur et les trois premières lettres de son nom de famille sont deux choses différentes, il faut bien que je me résolve à passer au petit 2 de la leçon : le classement des livres documentaires.
Aïe.
La Dewey. Ce magma de chiffres m’est sympathique vu qu’on n’a pas à les multiplier, diviser, factoriser ou autre acte chirurgical mathématique barbare. Mais eux ne perçoivent pas encore très bien qu’un chiffre n’est pas forcément là pour emmerder le monde. Qu’il peut servir à autre chose qu’à se faire charcuter pour avoir une bonne note à leurs devoirs. Avec le temps, j’ai fini par comprendre que s’ils retiennent qu’ils peuvent regarder le petite fiche (présente dans tous les CDI dignes de ce nom) avec un mini rappel des 10 divisions de la Dewey et de leur couleur associée (qu’on met sur la cote) pour savoir sur quelle étagère ils trouveront les livres qui parlent d’équitation (en 700 bande de nouilles), je pourrais être fière de moi ! Je leur passe donc la dewey à la moulinette, d’abord je les place en position de bibliothécaire, comment faire pour ranger 89.574 livres documentaires qui parlent de choses aussi différentes que de chirurgie, de chevaux ou de l’Espagne ? Rapidement, et logiquement, ils proposent un classement par sujet avec une cote de type « D CHE » pour les livres sur les chevaux (toujours un gros succès en CDI). Là je les pousse un peu, je leur demande « oui, mais si vous avez aussi des livres sur les chèvres, des livres sur les cheveux, des livres sur les chenilles, des livres sur les chevalier… Comment vous faites pour que ce ne soit pas le bazar ?? ». En général ils proposent de rajouter les premières lettres du nom de l’auteur. Mais du coup ils réalisent vite que les livres de chevaux seront séparés, mélangés à ceux des chevaliers, des chenilles, des cheveux… Vous suivez ? Pas évident hein !
A ce moment en général j’interviens. Je leur dit qu’ils ont très bien réfléchi (et c’est vrai), et que c’est exactement à partir de tous les problèmes qu’ils ont soulevé que Melvil Dewey invente en 1876 sa classification à chiffre (non parce que si je leur dit « classification décimale » ils ouvrent des grands yeux et recommencent à manger leurs cheveux, du coup j’évite). Dans ce classement, chaque nombre corresponds à un sujet précis, et plus il y a de chiffres, plus c’est précis.
Un truc que j’aime bien faire à ce moment, c’est le « tour de magie Dewey » : je demande à celui qui a l’air le plus endormi d’aller chercher un livre documentaire au pif, de le montrer aux autres, et de me lire juste la cote. Je leur tourne le dos avec ma dewey, et je dois deviner de quoi parle le livre.
J’entends des petits rires…
« Alors… la cote c’est 155.3 ZEP !! »

Très professionnelle je réponds : « Alors, déjà 100 on a vu que ça correspondait à… bien Bastien ! La philosophie et la psychologie ! Avec mon livre qui répertorie toutes les cotes possibles, je peux vous dire que c’est un livre de psychologie qui parle de la sexualité ! Et comme les trois lettres du dessous sont ZEP, j’en déduis qu’il s’agit du « guide du zizi sexuel » écrit par l’auteur de Titeuf : Zep !! »
Applaudissements et fous rire dans la salle.
Une fois la leçon finie, je leur laisse 5 minutes pour ranger leurs affaires et bouquiner dans le CDI. La petite Léa se jette sur l’ouvrage sus-cité : « Je peux l’emprunter madame ?? ». Je lui tends le bouquin après l’avoir enregistré, contente que ça ait donné envie de lire à une gamine.

En fait non.
En trois secondes, dans la région des fauteuils 20 élèves l’entourent, et elle fait la lecture à haute voix à tous en leur montrant bien les images. Morts de rire qu’ils sont !Je sais pas pour la Dewey, mais au moins j’aurais donné envie de lire à 21 élèves aujourd’hui !

Mission accomplie 🙂

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Postures de lecture

Quand je lève la tête de mon travail de bureau, que ce soit pour réclamer le calme, vérifier d’un coup d’œil le contenu d’une étagère ou m’étirer, j’ai toujours plaisir à regarder comment les élèves lisent leurs livres.

Il y a celui qui est assis sagement à une table, jambes croisées ou repliées sous la chaise pour les plus grands, souvent la tête posée dans la main et penché, sérieux, sur son livre. Il vit l’histoire avec sérieux et sagesse, complétement absorbé par ce qu’il imagine.

Il y a ce groupe, assis à une autre table qui s’agglutine autour d’un livre (souvent le Guinness World Records, ce qui constitue à mes yeux un mystère complet tellement je trouve l’ouvrage inintéressant) en train de commenter à voix basse (ou pas) la capacité d’un concurrent à mettre des pailles dans sa bouche. Dans le tas, il y a celui qui lit, ceux qui sont assis autour et  commentent, celui qui est en face et se met quasiment allongé sur la table pour mieux voir, celui qui passe et s’arrête par curiosité… C’est un groupe vivant qui partage ce qu’il ressent ! Parfois de manière trop brouillonne et agitée, mais qu’importe. Après tout, mon master en « chut » me permet de rétablir le calme avec brio !

Au niveau des BD aussi les élèves partagent. Pour commencer ils partagent souvent leurs fauteuils ! Et quand j’interviens pour empêcher le troisième de se mettre en travers des genoux des deux premiers, il s’assoit souvent par terre, à côté de ses amis. Là aussi, ça papote, ça chuchote, ça raconte l’histoire en même temps qu’elle est lue… Première lecture, deuxième lecture, soixante-douzième lecture, qu’importe ! L’appropriation passe par la connivence du groupe.

Mais mon préféré, c’est celui qui n’a pas eu de fauteuil, qui n’aime pas les tables… C’est celui qui s’assoit par terre. Concentré sur son livre, remuant régulièrement pour se réinstaller plus confortablement. Il recrée le cocon : sa position en bulle, le livre comme protection, sa vie et le texte s’unissent jusqu’à la prochaine sonnerie.

J’aime regarder les élèves lire ! Ils le font avec sérieux et en même temps une parfaite insouciance. Le problème vient au moment de ne garder que le sérieux et d’oublier (apparemment) l’insouciance… Quand lire devient un devoir, que la fantaisie est sujet d’analyse avant tout et que les mots arrêtent d’ouvrir des portes pour se transformer en barrières infranchissables.

Et arrêtons de psychoter parce que chouchou n’aime pas lire.

TOUS les enfants aiment lire. Et s’ils ne le savent pas encore, c’est qu’ils n’ont pas trouvé le bon livre !

Des paroles

Chers amis,

Dans un C.D.I. (le lieu, pas le contrat !), il se passe toujours des choses drôles pour qui sait regarder. Pour peu que le lieu ne soit pas une prison, que je sois dans de bonnes dispositions et que je puisse écouter d’une main en travaillant d’une oreille.

Il était environ 10h, j’étais à mon bureau en train de lire un article très intéressant sur la procrastination (oh, ironie) quand j’entends deux petites cinquièmes rire d’un air un peu gêné. Je lève la tête, elles cachent un cahier, leur table est remplie de stylos et de papiers. Un garçon, à côté d’elles, insiste :

-Alleeeez, c’est bon, faites moi lire ! Je dirais rien !
– Non, lache-nous, c’est pas prêt, et puis on veut pas !

Héroïquement (et parce que c’est mon travail), j’interviens :

-S’il te plait, je crois que tes camarades (j’aime bien ce mot, c’est mon petit côté Arlette) n’ont pas très envie que tu regarde ce qu’elles font. Laisse les tranquille, reprends ta bd !

C’est un gentil gamin, sans plus insister il laisse les filles en leur faisant un sourire qu’elles lui rendent, encore gênées, mais par mon intervention cette fois. Je reprends mon article, mais remarque que les filles me jettent des coups d’œils. Je leur souris pour les inviter à me parler si elles en ont envie. Finalement, la plus blonde des deux vient me voir :

-Madame vous avez déjà été amoureuse ?
-Oui.
-Vous êtes en couple ?

Intérieurement je jubile qu’elle ne me demandent pas si j’ai « un copain ». Peut être que l’hétéronormalisation se meurt… Enfin !

-Oui…
-Qu’est ce que vous ressentez quand vous le voyez ?!

Oula…

-C’est une question très personnelle ça ! Je pourrais savoir pourquoi tu me la pose ?
-Bah, c’est parce qu’on a monté un groupe avec Justine (non, ce ne sont pas les vrais prénoms !) et qu’on essaie d’écrire des paroles…
-C’est chouette ça ! Vous allez faire quel type de musique ?
-Plutôt pop rock.
-D’accord ! Par contre, je ne peux pas répondre à ta question, surtout que si vous voulez écrire de bonnes paroles, il faut que vous partiez de vos propres émotions, de vos expériences personnelles !
-Tant pis…
-Par contre je peux vous aider à trouver des livres qui parlent d’amour !

Lueur d’excitation dans leurs yeux…

Elles ont choisi twilight. Et emprunté le dico des filles…

M’en fiche, un emprunt, c’est toujours une victoire de la lecture et de la curiosité !

Et toc !